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LA FRATERNITÉ, UN ART DE VIVRE ENSEMBLE NÉCESSAIRE

Par Pascale Frémond, présidente de Religions pour la Paix - Québec  23 février 2017

 

UN REGARD PORTÉ SUR L’AUTRE

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            Au moment où nous venons de vivre l’attentat meurtrier contre nos frères et sœurs musulmans en prière au Centre islamique de Québec, tandis qu’Amnistie Internationale fait état d’un recul du respect des droits humains dans plusieurs pays et de la recrudescence en 2016 de discours qui prônent la discrimination sur des bases religieuses et ethniques, il est prioritaire de travailler sur la Fraternité. Vivre ensemble ne suffit pas. Il faut le faire le plus harmonieusement possible et pour cela, il est essentiel de développer un regard sur l’Autre, avec ses différences, qui soit inclusif et chaleureux. À l’heure où des individus s’attaquent brusquement et brutalement à des personnes sous prétexte de pratiques religieuses, à l’heure où l’on se demande tout haut si les signes religieux portés dans l’espace public constituent un problème, une nécessité s’impose, celle de la Fraternité.

           La Fraternité est d’abord un regard. Regard de l’intérieur, dans notre pensée, dans notre cœur, dans notre espace intime et silencieux, sur ceux que nous côtoyons, que nous croisons dans la rue, qui nous entourent au travail, à l’école. Regard porté par nos yeux sur les personnalités publiques ou privées qui déclenche au-dedans de nous une foule de pensées reliées à une multitude d’informations reçues et acceptées plus ou moins consciemment depuis que nous sommes nés.

           Qui est celui que je rencontre pour la première fois ? Il a un nom, porteur de sa culture de naissance et quelquefois de sa religion, une langue et un pays d’origine évocateurs de nombreux stéréotypes, un métier ou une profession qui le catégorise dans une classe sociale, une religion ou philosophie qui déclenche en moi des images multiples, quoique plus ou moins précises, un âge, un état civil et une orientation sexuelle qui posent plus ou moins consciemment dès le premier abord certaines limites à notre future relation. Dès le premier contact, j’ai dans ma tête face à cette nouvelle personne un éventail d’images qui balisent ma relation avec elle. Pour que cette relation évolue et se détache de toutes ces images, il faudra que je m’approche d’elle par le cœur et la regarde d’abord comme être humain. Cela constitue un beau défi, au quotidien, quoi qu’on en dise.

            En effet, nous ne pouvons pas nier que notre regard sur la différence de l’autre est piégé par tout ce qui est véhiculé autour de nous. Particulièrement par les médias, mais aussi dans le discours quotidien de nombreuses personnes qui nous entourent. Petit à petit, nous nous laissons  gagner par une sorte de peur de l’autre, actuellement particulièrement à l’égard de nos frères et sœurs musulmans qui se trouvent ostracisés en raison des monstruosités commises au nom de l’islam par Daech. Après l’attentat commis à Québec, nous nous rendons tristement compte que le racisme et la peur de l’Autre existent, que nous devons prendre des moyens pour éviter toute expression violente de haine. Notre vigilance doit être extrême, et elle commence en nous, intérieurement. C’est notre discours intérieur quotidien qu’il nous appartient d’étudier pour voir s’il favorise ou non une entente harmonieuse avec toutes les personnes que nous côtoyons.

            Le regard que nous portons sur l’autre dépend donc de la façon dont nous traitons les informations et les jugements que nous recevons de l’extérieur. Nous devons tamiser à chaque instant ce qui nous est montré et interprété et décider si nous acceptons ces jugements et interprétations ou si nous les remettons en question.

 

NOTRE DOUBLE NATURE

 

            On ne peut parler de vivre ensemble sans parler de philosophie, de l’être humain dans sa constitution. Chacun sait qu’en lui, il y a 2 natures qui quelquefois s’opposent. La première est tournée vers nos propres intérêts, intérêts de survie, de différenciation, de comparaison. Elle est prompte à entretenir en nous une peur de ce que nous ne connaissons pas. Elle peut nous pousser à aller jusqu’à la violence pour assouvir nos désirs de domination et de jouissance, même au détriment de l’autre s’il nous barre le chemin. Cette personnalité qui peut être haineuse nous étrique, fait de nous une personne soupçonneuse, désagréable, égoïste, égocentrique. En elle, point de joie, la peur, la méfiance, la détestation de tout ce qui est différent. Aucun bonheur ne peut venir d’elle qui est en conflit plus ou moins ouvert avec tous et chacun.

        Elle est tempérée habituellement par une autre partie de nous, qui nous conseille d’y penser à 2 fois avant de rétorquer violemment, à réfléchir aux conséquences, qui nous pousse à espérer, à croire que les événements, les problèmes, nous permettent toujours de nous découvrir de nouvelles ressources, de nous révéler dans notre meilleur, que les autres sont potentiellement de bonnes personnes également, et qu’elles sont bienveillantes à notre égard. Cette individualité qui regarde le bon côté des êtres et des événements, qui favorise le positif, nous pousse à privilégier l’intérêt des autres, quels qu’ils soient, elle nous élargit et nous pousse à aimer inconditionnellement. Elle nous rend heureux.

            Les personnes spirituelles, qui ont un système de croyance les exhortant à se considérer comme des personnes douées de pensées et de sentiments dans un corps mû par un esprit, ont tendance à développer une vision d’elles-mêmes et par extension des autres, bienveillante et confiante. Leur expérience de leur double nature les pousse à essayer dans leur quotidien de développer, par leur pratique spirituelle, et de manifester le meilleur d’elles-mêmes, en même temps qu’elles essaient d’éveiller et d’alimenter le meilleur des autres. À cette fin, elles portent leur attention sur ce qui est commun dans les êtres humains, sur ce qui unit les personnes au lieu de les désunir. Elles n’ont pas peur des autres, tout en étant conscientes des différences, qu’elles considèrent le plus souvent comme une richesse.

 

LA FRATERNITÉ, UNE CONNAISSANCE DE CE QUI UNIT LES ÊTRES HUMAINS

 

           Quand nous côtoyons de nombreuses personnes, il apparaît clairement à chacun que nous sommes tous constitués de la même façon : nous pensons, sentons et agissons. Pensée, cœur et volonté nous sont communs. Nos corps mêmes, quoique différents en apparence, ont tous les mêmes organes, qui fonctionnent de la même façon. Nous naissons et mourons de façon similaire. Tous les êtres humains sont d’abord semblables.

           Non seulement nous nous découvrons constitués de la même façon, mais nous avons les mêmes besoins : besoin de nous nourrir, d’avoir un abri, de respirer un air pur, de travailler pour pouvoir subvenir à nos besoins de base. Besoin d’aimer d’autres êtres, souvent un Être transcendant image de perfection et référence, de vivre en bonne harmonie avec les autres personnes et la Nature qui nous entoure de façon à nous sentir en sécurité. Besoin de comprendre la vie, sa finalité, les meilleures façons de la vivre. Besoin de pouvoir vivre librement notre propre vie, en lien harmonieux avec tout ce qui constitue la société qui nous entoure.

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LA FRATERNITÉ COMME SENTIMENT DANS NOTRE CŒUR

 

           La partie désintéressée de nous, notre individualité, qui s’intéresse à ce qui nous unit aux autres êtres humains, nourrit en nous un sentiment d’amour à l’égard de tout ce qui vit, et en premier lieu à l’égard des personnes. C’est un sentiment religieux, dans le sens étymologique et noble du mot, « qui relie ». La vision unificatrice que nous avons dans notre tête nous pousse à aimer l’autre comme notre frère. Plusieurs religions et spiritualités le professent, l’humanisme place cette vision empathique au centre de son système de référence. La personne humaine est centrale, elle est hautement digne de considération, elle doit être priorisée avant toute autre chose, comme le profit ou l’intérêt personnel. Sa dignité, sa liberté, son sentiment de sécurité, sa vie harmonieuse dans sa société, cela prime sur tout le reste.

             Dès lors, ce sentiment d’amour envers tous les êtres humains nous pousse à les considérer comme membres d’une même famille, notre famille, la famille de tous les humains sur la Terre. Ce sentiment d’amour, c’est la Fraternité qui nous pousse à aimer tous les êtres sans exception, à l’image du soleil qui chauffe et éclaire toutes les personnes sans distinction. 

 

LA FRATERNITÉ COMME ART DE VIVRE ENSEMBLE NÉCESSAIRE

 

         Il ressort clairement de ce qui a été dit précédemment que si nous voulons vivre en paix et en bonne harmonie avec ceux que nous côtoyons au quotidien, connus ou inconnus, nous avons la responsabilité individuelle de changer notre regard, ou au moins de l’améliorer chaque jour en devenant de plus en plus conscients de nos réflexes et réflexions intérieurs face à toutes les situations : que nous regardions les nouvelles à la télé ou sur l’ordinateur, que nous soyons en train de boire un café avec nos amis ou nos collègues de travail ou d’école, en train de manger avec les membres de notre famille, notre vigilance intérieure doit être de tous les instants. Notre responsabilité est entière puisque nous sommes les seuls maîtres de nos pensées. Ce que nous tamisons ou faisons nôtres comme pensées et interprétations des faits portés à notre connaissance par les uns et les autres, va nous pousser à une attitude qui fera la différence. Ou nous acceptons la vision négative souvent colportée par les médias, qui ont tendance à interagir avec les personnalités publiques comme si elles étaient des personnes potentiellement nuisibles à confronter, ou nous partons de notre propre vécu, celui qui est véridique pour nous, et notre vision du monde, sans être naïve, nous pousse à être fraternels et bienveillants. Pourquoi être désagréables et rébarbatifs quand nous pouvons sourire aux autres et leur être agréables ? Nous n’y gagnons rien, au contraire, nous nous empêchons et nous les empêchons de vivre heureux. Quand nous sortons de chez nous satisfaits, souriants, les gens que nous rencontrons nous sourient, presque automatiquement.

          La vie fraternelle en société est possible, au Québec, nous l’expérimentons depuis fort longtemps, avec les valeurs d’accueil, de partage, de respect de la diversité et de solidarité. Il y a longtemps qu’elle cimente notre société. Que les médias ou d’autres personnalités publiques se plaisent à rendre compte essentiellement des divisions et des problèmes, c’est leur affaire. Nous, en tant que citoyens, avons à prendre position clairement, d’abord dans notre for intérieur, puis dans nos paroles et nos actes. Pas besoin de grande déclaration, un regard suffit : un regard de fraternité sur tous, sans exception, et tout le reste en découlera. Il nous appartient maintenant de multiplier les occasions de mettre en oeuvre ce regard et de lui permettre de donner toute sa mesure à travers une multitude d'expériences de la Fraternité au quotidien, ce que nous nous proposons de faire avec ce Congrès, afin que cette Fraternité devienne un art de vivre ensemble partagé par tous.  

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